Écrire avec les racines

Lorsqu'on tient quelques grains de blé dans la main on a du mal à croire que c'est grâce à des éléments du vivant aussi modestes que l'humanité a changé définitivement de cap, passant progressivement de l'état de chasseur-cueilleur à celui de sédentaire, ouvrant ainsi la voie à la propriété, à l'organisation sociale et transformant profondément nos paysages.
Les céréales ont certes été domestiquées par l'humain mais celui-ci a co-évolué avec elles, se transformant et transformant profondément notre écosystème. D'une certaine façon, on peut dire que l'homme s'est auto-domestiqué pour vivre dans un monde délimité par la propriété. En réfléchissant à ces questions, j'ai eu envie de faire écrire aux racines ce dont elles sont finalement l'enjeu dans le monde humain. 
Dans cette série, autour des mots, les racines remplissent progressivement les vides entre les lettres faisant apparaître en creux les mots.

 "Du pain et des roses"

En 1912 les ouvrières textiles en grève de Lawrence dans le Massachussets reprennent comme slogan le titre d'un poème de James Oppenheim « Bread and Roses ». Cette revendication renvoie aux besoins vitaux (se nourrir)  mais elle renvoie aussi à un autre besoin non moins vital qui est celui de la beauté, de l'art. De longue date, les céréales ont été des enjeux de pouvoir et de lutte entre qui produit le grain, qui le possède, qui l'accapare, qui en dépend pour sa survie. On se souvient de la marche des femmes de Paris jusqu'à Versailles le 5 octobre 1789 réclamant du pain. Mais ce que dit la revendication des ouvrières américaines, va au-delà des nécessités vitales. À son retour de déportation en Nouvelle Calédonie, Louise Michel ne dit pas autre chose quand elle écrit dans l'un de ses romans : « Que voulez-vous qu'on fasse de miettes de pain pour la foule des déshérités ? Que voulez-vous qu'on fasse du pain sans les arts, sans la science, sans la liberté. »


Qui parlera au nom du loup ?



Dans un podcast de France Culture (1)  quelqu'un émettait cette pensée : " La crise écologique est une crise de la sensibilité. C'est parce qu'il ne nous parle pas qu'on laisse maltraiter le vivant." En effet, les humains ont besoin des mots, ils s'en nourrissent littéralement. Le mot est comme une clé dans une serrure ou une pierre sur un chemin. Cela permet d'ouvrir une porte ou de poser un jalon dans la pensée. Une idée, une revendication, une communauté vont se mettre à exister grâce aux mots. Aujourd'hui, c'est d'autant plus fort que tout le monde parle...sauf le vivant qui reste silencieux.

Qui parlera au nom du loup ? vient d'un conte iroquois. La tribus iroquoises décidèrent en conseil de chasser, à leur insu, sur des terres habitées par les loups. En conséquence, elles subirent des attaques qui décimèrent leurs rangs. Il fallut choisir : partir ou décimer, à leur tour, les loups. Elles choisirent la première option. Par la suite, pour éviter de reproduire la même erreur, elles convinrent que lors des réunions du conseil, quelqu'un serait désigné pour représenter les loups. Dès lors tout conseil commença par cette question : Qui parlera au nom du loup ?
Parler au nom du loup suppose d'abandonner le point de vue anthropocentré pour se placer du point de vue d'une autre espèce. C'est ce que Thom Van Dooren (2) appelle l'éthique multi-espèces. Ce faisant, cela suppose aussi de développer une sensibilité qui prenne en compte les besoins des non-humains.


Bienvenue dans l'anthropocène

 
L'anthropocène est considéré comme une nouvelle époque géologique où les hommes sont la principale force sur la terre. Ce terme est surtout un concept politique dans la mesure où il est controversé dans le monde scientifique. Toutefois, il souligne les conséquences du changement climatique à l'échelle de la planète et les enjeux d'une politique de la Terre.

Dans  le travail ci-contre, le tapis racinaire ressemble à ces tapis qu'on met à l'entrée d'une maison pour s'essuyer les pieds. Bienvenue dans l'anthropocène  est un titre qui a fait la une du journal The Economist et, à vrai dire, je le trouve très ironique. Il pose la question de ce qui est bienvenu dans un monde transformé par l'homme pour ses besoins.




(1) France Culture - Série : Une terre qui parle - La terre s'est tue  
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/la-terre-s-est-tue-5415140

(2) Dans le sillage des corbeaux de Thom Van Dooren - Actes Sud

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